Le journal de Rose - Adrienne, Jane, et le racisme
Extrait du journal de Rose - Lundi 25 janvier 1870
[... Ce soir, comme chaque jour désormais, je suis venue m'installer dans la cuisine pour te décrire cette nouvelle journée de ma vie sans toi dans ce journal que j'espère te faire lire un jour béni, celui où nous nous retrouverons, car je suis persuadée au plus profond de mon coeur que ce jour arrivera. Les mauvaises langues peuvent continuer à essayer de me décourager en me disant que je dois me résigner et porter le deuil, je m'y refuse absolument. Et je m'y refuserai toujours, certaine que je suis que tu nous reviendras le jour où Dieu le décidera.
Mais je m'égare. Ce soir donc, je m'apprêtais à écrire la date lorsque Adrienne est venue me rejoindre. Elle s'est assise près de moi, souriant doucement, comme toujours, et m'a dit qu'elle devait me raconter quelque chose concernant Jane et elle.
Elle m'a expliqué que Jane était près d'elle quand elle avait fait une tarte cet après-midi pendant la sieste du bébé.
Jane lui lisait à haute voix des fables dans le livre de lecture que je lui ai confié pour qu'elle puisse s'adapter au niveau de sa future classe quand elle va venir à l'école.
Tout à coup, elle a demandé :
- Dis Adrienne, pourquoi les gens ne veulent-ils pas parler aux personnes comme toi, ou comme les Maoris qui travaillaient chez mes parents en Nouvelle Zélande à qui je n'avais pas le droit de parler ?
- Qui te dit que les gens ne veulent pas me parler ? a demandé Adrienne.
- J'ai entendu cousine Liliane et son amie Kristin qui disaient que tu ne travaillais plus au magasin général parce que les gens ne voulaient pas être servis par toi parce que tu es une noire, a répondu Jane.
- Ta cousine et son amie parlent trop, tu n'aurais pas du les écouter, s'est écrié Adrienne. Pourtant, c'est vrai ce qu'elles ont dit, mais ne t'en préoccupe pas, ça n'est pas grave, je suis mieux ici à m'occuper de la maison et du bébé de mon amie Rose que je ne l'étais au magasin général.
Jane n'a pas insisté, elle a pris une pomme qu'elle a coupée en deux et a replongé le nez dans son livre.
Au bout d'un moment, quand elle a commencé à rouler la pâte, Adrienne s'est mis de la farine sur la joue et le nez, en repoussant un cheveu qui l'ennuyait sur sa joue. Jane s'est mise à rire et lui a demandé si elle voulait se transformer en femme blanche.
Adrienne s'est crispée, et Jane a senti immédiatement qu'elle avait dit quelque chose qu'il ne fallait pas.
Adrienne a attrapé un torchon pour nettoyer la farine de son visage, mais son bras est resté en suspens, pendant que les larmes lui montaient aux yeux.
- Non, a-t-elle simplement répondu à Jane en tentant de masquer son émotion. Plus maintenant, je ne le voudrais plus ; mais quand j'étais petite, comme toi, j'aurais tout donné au monde pour être blanche. C'est fini maintenant, je suis ici parmi des gens bien, qui m'acceptent comme je suis et qui ne font pas de différence..... enfin presque tous les gens... les plus importants, ceux qui comptent, comme toi et ta famille.
Jane s'est précipitée contre Adrienne en lui demandant de la pardonner si elle lui avait fait de la peine.
- Tu sais Adrienne, lui a-t-elle dit, moi, je t'aime très fort et je me fiche que tu sois noire ou Maori, parce que pour moi, tu es juste Adrienne, la reine des tartes aux pommes, la reine des tartes aux myrtilles, et mon amie qui me laisse pousser le landau du bébé quand on va se promener dehors.
Adrienne était très émue en me racontant ça ; elle s'est déjà beaucoup attachée à Jane.
J'écris cette anecdote dans ce journal car j'aimerais que tu connaisse Adrienne. Elle est courageuse et douce, malgré les traumatismes qu'elle a vécu durant son enfance de fille d'esclaves, et je suis heureuse que le chemin de sa vie lui ait fait croise la notre, et qu'elle trouve maintenant dans notre maison l'affection qu'elle mérite. Je suis sure que tu l'aimeras autant que nous lorsque tu reviendras, et je prie pour que ce jour arrive le plus vite possible.
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Bon mercredi,
♥♥♥