Le journal de Rose - Joséphine, la couture, et le mariage
Extrait du journal de Rose - Vendredi 23 avril 1870
[... Plus que jamais, mon amour, j'aurais aimé que tu sois là près de nous, afin de pouvoir aller discuter avec ton ami John.
C'est que, ce soir, durant le repas, j'ai remarqué que Joséphine semblait préoccupée. Elle est toujours assez sérieuse et pensive, mais cette fois, je sentais que quelque chose la perturbait.
J'ai imaginé que c'était encore une mauvaise réflexion de Madame McGill, laquelle ne décolère pas de voir son frère fermement décidé à épouser Joséphine, et lorsque les jeunes sont allés se coucher, je suis allée la voir dans son atelier de couture, pour lui demander si je pouvais l'aider en quoi que ce soit.
Elle m'a alors raconté qu'en début d'après-midi, elle était très occupée à tracer un patron pour une robe de deuil qu'elle a promis à une dame du village voisin qui en a besoin d'urgence pour un voyage imprévu chez un membre de sa famille qui vient de décéder.
Alors qu'elle commençait à travailler, John éest passé la voir.
- Comment va la femme que je rêve d'épouser et qui me fait languir ? viendrait-elle faire une promenade en buggy avec moi, pauvre médecin qui n'a aucun patient à soigner cet après-midi ? lui a-t-il demandé en souriant.
Mais la sage Joséphine lui a répondu avec beaucoup de regrets qu'elle ne pouvait pas, puisqu'elle devait absolument finir la robe de Madame Martin pour demain soir.
John était fort déçu de son refus, et apparemment un peu vexé, car il lui a répondu :
- Heureusement que lorsque nous serons mariés, tu n'auras plus à faire ce travail pour tes clientes.
- Que veux-tu dire ? lui a demandé Joséphine. Penses-tu que je vais arrêter de coudre lorsque nous serons mariés ?
- Bien sur, a expliqué John. Tu seras ma femme, tu n'auras plus besoin de travailler pour vivre.
- Mais, John, tu n'as pas compris que je couds non seulement parce que c'est mon métier et qu'il me fait vivre, mais aussi, et surtout, parce que c'est une véritable passion que j'ai depuis mon enfance. J'aime créer des modèles de robes, les imaginer, les dessiner, les découper, les assembler, et voir le sourire ravi de mes clientes lorsqu'elles les essaient. Et j'aime être dans mon atelier, au calme, parmi tous ces outils qui me sont si familiers, dans l'odeur et le bruissement des tissus. Jamais je ne pourrai totalement abandonner tout ça.
- Tu pourras continuer à coudre pour toi et pour nos enfants, bien sur, a concédé John. Mais il est impossible que la femme d'un médecin travaille comme le fait une femme qui a besoin de gagner sa vie ; ça ne se fait pas, qu'en penseraient les gens ? mes patients imagineraient que j'ai peu de clientèle, et ils perdraient confiance. Tu n'en auras plus besoin. Ton travail sera de t'occuper de notre maison, élever nos enfants, m'aider avec certains patients, les accueillir quand ils viennent, bavarder avec eux et les faire patienter si je suis absent, les rassurer si ils sont inquiets. Tu vois bien que cela sera très important et va déjà bien occuper tes journées, tu n'auras plus beaucoup de temps pour ta couture, même si tu l'aimes, il va falloir l'oublier.
- Oui, je comprends, a-t-elle simplement répondu, parce qu'elle n'avait pas envie d'en discuter plus et expliquer sa déception à John qui, elle le sentait, ne l'aurais pas comprise. Mais pour le moment, comme je te l'ai dit, je dois absolument me remettre au travail, parce que Madame Martin compte sur moi pour pouvoir partir en voyage demain soir.
- Bien sur, je te comprends, une promesse est une promesse. J'admire beaucoup ton sérieux dans ton travail, lui a-t-il en l'embrassant gentiment, avant de partir.
Lorsqu'elle m'eut raconté ça, Joséphine m'a demandé :
- Pourquoi une femme n'a-t-elle plus le droit d'exercer un métier qui la passionne sous prétexte qu'elle est mariée ? Regarde, toi, tu as du arrêter d'enseigner quand tu t'es mariée ; et tu n'as récupéré ton poste d'institutrice que parce qu'on pense que tu es veuve. Ce n'est pas juste. Je ne veux pas arrêter de coudre, mais en même temps, je ne veux pas contrarier John que j'aime profondément. Je crois que je vais devoir sacrifier ma passion pour la couture à mon amour pour lui, et que jamais je ne pourrai avoir ma propre boutique de créations de mode, à mon nom, comme je l'avais rêvé dans mon enfance quand je jouais dans les atelier de Worth à Paris.
Joséphine a souri, mais son sourire était triste, et cela m'a fait de la peine.
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Devinez ce qui a enfin fleuri dans le jardin ? Il gèle encore un tout petit peu la nuit (zéro, -1°), mais le printemps est bien là...
Bon samedi :-)
♥♥♥