Le journal de Rose - Le premier jour d'école de Mathilde
Extrait du journal de Rose - Lundi 30 août 1870
[... Mon tendre aimé, c'est avec une humeur massacrante que je prends la plume pour t'écrire ce soir dans ce journal.
Ce matin pourtant, j'étais d'humeur joyeuse car c'était la rentrée des classes ; tu sais combien apprendre des choses aux enfants me plaît, et c'est d'un pas allègre que je suis partie avec ma sacoche et mes livres.
C'était aussi le premier jour d'école de Mathilde, la nièce d'Adrienne.
Toute ma petite bande habituelle était là. Après avoir allumé le poële pour chasser l'humidité qui s'était installée durant la nuit, j'ai sonné la cloche et ils sont rentrés en se bousculant, apportant une bouffée d'air frais dans la classe avec leurs jolies joues colorées d'avoir joué et couru.
Je leur ai laissé le temps de s'installer et j'ai demandé le silence pour leur présenter officiellement Mathilde.
- Voici Mathilde, elle vient de loin, de l'Alabama, mais elle parle parfaitement le français. Nous étudierons tout à l'heure l'Alabama dans le cours de géographie. Je vous demande de l'accueillir chaleureusement et de lui souhaiter la bienvenue avant qu'elle aille s'installer entre Svend et Lena.
Tout le monde a crié ensemble "Bienvenue Mathilde" !
Tout le monde, sauf Mellie McGill qui s'est alors écriée :
- Mais elle est noire !
- Quel remarquable sens de l'observation tu as, Mellie ! lui ai-je répondu.
Sous ma main posée sur son épaule, j'ai senti Mathilde se raidir.
Mellie s'est levée et elle a crié :
- On ne va quand même pas avoir une négresse dans la classe, ma mère ne le tolèrera jamais. En plus vous voulez qu'elle s'assoie à côté de ma soeur, vous êtes folle.
Les autres enfants ont perdu leurs beaux sourires, inquiets de la réaction que j'allais avoir.
C'est la première fois que je me suis fâchée à ce point là contre un élève devant tous les autres ; je n'aurais sans doute pas du le faire, mais j'étais vraiment outrée.
- Sors de cette classe Mellie, immédiatement. Rentre chez toi, raconte ce que tu veux à ta mère, cela m'est totalement égal. Sache seulement que ton père, le maire de cette ville, est parfaitement au courant de l'arrivée de Mathilde et qu'il a approuvé sa venue dans cette école, ici, dans la même classe que ses propres filles. Et avant que tu sortes, j'ajoute que je regrette beaucoup que tu n'ais pas hérité de son ouverture d'esprit.
Lorsque Mellie est sortie, l'atmosphère était pesante dans la classe ; chacun se sentait mal pour Mathilde. Je lui ai demandé de s'asseoir où je le l'avais dit et j'ai commencé à leur expliquer à tous où est situé l'Alabama dans la fédération des États-Unis, quelles productions agricoles on y trouve, quel est son climat, et d'autres informations encore, ce qui a fini par alléger l'ambiance, d'autant plus que Mathilde a été questionnée sur son ancien pays, ainsi que sur les endroits qu'elle a traversés pour venir jusqu'ici, ce qui l'a très vite familiarisée à la vie de la classe.
Au dernier rang, j'ai vu mon frère qui se penchait vers Erik et chuchotait ; sans doute évaluaient-ils les possibilités de revanche de Mellie et sa mère.
Je ne crains rien dans le cas présent car Monsieur McGill a été très clair lorsque nous en avons discuté et qu'il m'a affirmé que toute personne de couleur pouvait librement s'installer dans notre village et devrait y être accueillie comme n'importe qui.
Toutefois, je suis furieuse de devoir supporter dans ma classe cette enfant à l'esprit obtus, et encore plus furieuse d'imaginer la trace que laissera cet accueil dans l'esprit de cette pauvre petite Mathilde qui en a pourtant déjà tellement supporté depuis sa naissance : la servitude de ses parents, la guerre, la perte de sa mère.
On dirait que, bien que l'esclavage ait été aboli dans la loi, il ne l'est toujours pas dans les esprits bornés et sans bienveillance ; cela changera-t-il vite ? je l'espère car si nous voulons que le monde aille bien et que ces guerres stupides n'aient plus jamais lieu, il nous faut vraiment développer toute notre bonne volonté les uns envers les autres.
Voilà mon bien-aimé pourquoi je ne suis pas de bonne humeur ce soir. Je regrette une fois de plus ton absence, toi qui savais si bien me réconforter lorsque je faisais face à des contrariétés de ce genre, avec ta tendre sollicitude et ton amour.
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Si l'image de Rose faisant la classe vous plait, vous pouvez la voir en grand format détaillé, ou la télécharger, en cliquant ici : IMG_6973_1920
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