Stricte éducation et rêves d'avenir
Chapitre 56 des Aventures de Fleur au Canada
Trop, c'est trop, même si c'est l'été, un ressenti de 40° avec 78 % d'humidité, c'est infernal.... Même plus capables de bouger, transpirant sans faire le moindre mouvement, Grand-maman Nadette et les deux filles se sont effondrées installées dans les chaises longues à l'ombre d'un érable dans le jardin.
Elles avaient prévu de faire la liste des courses pour le BBQ annuel qu'offre Nadette pour son anniversaire.
Elles ont commencé par récapituler la liste des invités qu'Elsa avait enregistrée sur sa tablette. Bien sur, il y aura Christopher qui doit venir avec un copain, Marysol, Natasha avec sa petite soeur, Andrew et James....
Arrivées au nom de James, Elsa a dit :
- Tu sais, hier, à la piscine, James nous a dit que son père était "comte d'Orford". Tu savais ça ?
- Je suis surprise qu'il vous en ait parlé, répond Nadette. Je le savais car il me l'a confié durant notre discussion dans le jardin lors de notre première rencontre, le jour du déménagement de Fleur. Mais il avait dit ne pas vouloir en faire mention dans sa vie quotidienne parce que c'est un point de sa vie qu'il souhaite laisser de côté en venant étudier ici.
Fleur intervient :
- En fait, il l'a plutôt lâché sur un ton plein d'amertume quand il nous a raconté une anecdote de son enfance, et je pense qu'il l'a fait un peu involontairement parce qu'ensuite il a très vite changé de sujet.
- Mais alors, James est vraiment comte ? demande Elsa. Elle est un peu déçue, parce qu'elle est amoureuse de son bel anglais et qu'elle réalise qu'un comte n'a pas grand chose en commun avec une simple fille comme elle.
- Ça ne m'étonne pas quand on l'entend s'exprimer et qu'on le voit agir, il est clair qu'il a reçu une très bonne éducation, précise Fleur.
- Mes petites, dit Nadette, je vais vous raconter quelque chose qui remonte à ma jeunesse. Dutant l'été 1967, j'ai été répétitrice d'une jeune anglaise de la bonne société. Elle avait 9 ans. J'avais ordre de ne lui parler qu'en français, je ne devais pas prononcer un mot d'anglais devant elle. Ce n'était pas des cours formels, je devais simplement l'accompagner tout au long des activités quotidiennes et parler avec elle en français. J'ai été très bien payée pour cela, mais ces 2 mois 1/2 en compagnie de la jeune Alexandra Pennington, fille du baron de Booth, m'ont laissé un souvenir un peu amer. Elle ne voyait ses parents que quelques instants chaque matin et chaque soir, on aurait dit qu'ils la passait en revue comme un général fait la revue de ses troupes. Le reste du temps, il y avait 2 gouvernantes pour la surveiller, dont une qui était pire qu'un garde-chiourme. Cette pauvre enfant n'avait pas le droit de courir ou crier de joie, ses vêtements et sa coiffure devaient rester impeccables.; elle n'avait pas le droit d'éclater de rire, pas le droit de danser sur de la musique moderne lorsqu'elle en entendait... bref, pas le droit de ci, pas le droit de ça. Un jour, nous avons réussi à obtenir la permission de pique-niquer sur la pelouse près du manoir de ses parents, mais une des gouvernantes était présente et gâchait tout le plaisir de cette pauvre petite en l'obligeant à se tenir "comme il faut", et lui rappelant sans cesse "les bonnes manières". Un jour, elle est tombée durant sa séance d'équitation quotidienne et s'est fortement blessée au coude, elle a été réprimandée parce qu'elle pleurait de douleur. J'ai fait tout ce que j'ai pu, de la manière la plus discrète possible, pour lui apporter un peu d'originalité et de joie dans ses journées et nous avions fini par bien nous entendre. Lorsque je l'ai quittée en septembre pour commencer mes études à la Sorbonne, j'ai eu l'impression de l'abandonner au fond d'un puits. C'était une gentille gamine. Je lui ai écrit plusieurs fois par la suite mais je n'ai jamais eu de réponses ; je pense que les lettres ne lui ont pas été remises, sa famille devait penser que nous n'avions pas à rester en contact.
- Quelle horreur ! s'exclament Elsa et Fleur quand Nadette eut terminé son récit.
- Mais oui, mes petites. Comprenez que votre ami James a sans doute subi des pressions un peu similaires durant toute son enfance, et qu'il n'en a sans doute pas gardé un très bon souvenir. Même si plus de 40 ans plus tard, le système éducatif a dû changer et beaucoup s'assouplir dans la haute société anglaise, il n'en reste pas moins très intransigeant vis-à-vis de l'éducation des enfants. James m'a confié qu'il était venu faire ses études ici, au Canada, contre la volonté de son père. Je pense qu'il ne veut plus "rentrer dans le moule" de cette société-là. Alors, surtout, ne faites pas mention de ce titre de noblesse qu'il a sans doute laissé échapper dans la conversation sans le vouloir.
- C'est promis, disent les filles.
- Bien, maintenant, mes enfants, c'est l'heure de ma sieste ; finissez bien votre après-midi.
Quand Nadette les eut quittées, Elsa alla préparer deux verres de la limonade au pamplemousse rose qu'elle avait préparée le matin, et les filles parlèrent de ce qu'elles venaient d'entendre.
Fleur dit :
- Tu vois, je me plains de mes parents qui n'en ont jamais rien eu à faire de ce que je ressens. C'est vrai que les sentiments ne sont pas leur fort. C'est vrai qu'ils sont juste préoccupés par leurs carrières professionnelles dans la haute finance et qu'ils attendent uniquement de moi que je leur fasse honneur en réussissant mes études pour embrasser une profession dont la fonction les rendra fiers, toutefois, jamais ils ne m'auraient imposé des contraintes de vie comme ce que Nadette nous a raconté ; ils m'ont laissée être moi-même.
Elsa exprime son ressenti à son tour :
- Mes parents ont divorcé quand j'étais petite, et ils vivaient sur deux continents différents, me faisant aller de l'un à l'autre une fois par an. Mais jamais je n'ai ressenti un manque d'amour, de tendresse et de compréhension, comme toi ou James l'avez vécu. Je suis si triste pour vous.
- Ne sois pas triste, répond Fleur. Nous sommes devenus des adultes maintenant. Nous pouvons décider de notre avenir et je pense que pour ton James, tout comme pour moi, notre éducation nous a suffisamment endurcis l'un et l'autre pour que nous puissions résister à notre passé et choisir nos futurs horizons tels que nous souhaiterons les vivre.
- Alors je lève mon verre à notre avenir à tous, dit Elsa en souriant.
.......
Il faisait si chaud durant la prise de ces photos que mon assistante féline était étalée un peu plus loin, au frais dans une plate-bande, et qu'elle n'a même pas daigné venir mettre son nez sur les poupées pour vérifier la mise en scène comme elle le fait d'habitude !
Vous noterez peut-être la présence d'une feuille d'érable rouge tombée près de la chaise longue de Fleur durant les prises de vue... eh oui, inexorablement, l'automne s'installe.
Bon samedi :-)
♥♥♥