Le journal de Rose - Joseph et Mathilde sont enfin arrivés chez Rose
Extrait du journal de Rose - Vendredi 27 août 1870
[... Mon tendre amour, je viens de relire les pages que j'ai écrit durant ces deux derniers mois et je me rends compte que j'ai dû énormément t'ennuyer pendant cet été, à ne te parler jour après jour que de la chaleur, de mes difficultés avec le jardin, et des inquiétudes des fermiers Andersen avec la sécheresse, ainsi que des préparations du trousseau de Joséphine ! Mais qu'aurais-je pu te raconter d'autre dans la mesure où nos journées se sont déroulées comme un fleuve qui s'écoule tranquillement vers l'océan.
Toutefois, aujourd'hui, j'ai une grande nouvelle à t'annoncer : Joseph, le frère d'Adrienne est enfin arrivé après un très long périple depuis l'Alabama où une des nombreuses lettres qu'elle avait envoyées un peu partout depuis des années avait enfin réussi à le trouver.
Ce matin très tôt au lever du soleil, Adrienne et moi avons profité d'une journée qui s'annonçait un peu moins chaude pour faire la lessive. Nous étions en train de rincer et étendre quelques pièces de linge derrière la maison en bavardant.
Nous bavardions de tout et de rien pendant que, comme toujours, la petite Jane nous écoutait et posait plein de questions sur les sujets que nous abordions ; ma petite nièce s'intéresse à tout, même à la politique qu'elle suit avec passion dans le journal !
Tout à coup, Adrienne s'est écrié : "Joseph, voilà mon frère Joseph" !
Il s'est approché, et sans rien se dire, ils sont restés un long moment à se regarder. Tant de choses ont été vécues de part et d'autre, tant d'horreurs vues, tant de drames vécus, tant de deuils, tant de peur, de tristesse, qui les ont changés au plus profond de leur âme. Il leur fallait d'abord se retrouver, presque se réapprendre, et leurs regards qui ne se quittaient pas ont échangé tout cela.
J'étais profondément bouleversée par ces merveilleuses retrouvailles.... si heureuse pour eux. Et en même temps, je pensais à nous deux, si Dieu veut que cela nous arrive un jour, que nous soyons réunis, toi et moi, je me demandais si, nous aussi, nous aurions aussi besoin de ce moment face à face, où nos deux vies séparées durant un temps devraient se réapprendre avant de se souder à nouveau.
Et enfin avec un rire de joie et des larmes, ils sont tombés dans les bras l'un de l'autre. Je souriais et je pleurais à la fois, partageant leur bonheur au plus profond de mon coeur.
Puis Joseph a présenté Mathilde, la fille de sa défunte femme. La fillette était restée en retrait, son regard exprimait l'inquiétude ; elle avait visiblement peur d'être exclue des retrouvailles de son père adoptif avec sa soeur. Lorsque Adrienne l'a serrée dans ses bras en lui souhaitant la bienvenue, l'enfant s'est blottie contre elle et sa physionomie a rayonné de soulagement.
C'est là que je suis intervenue et que pour alléger l'atmosphère j'ai dit à Adrienne qu'elle devrait emmener Joseph et Mathilde dans la maison pour qu'ils se rafraichissent et se reposent de leur longue route.
J'ai ajouté qu'il serait bien que nous commencions tous par prendre un petit-déjeuner réconfortant en bavardant.
Pendant ce temps, j'entendais Jane qui proposait à Mathilde de venir jouer avec sa poupée ; j'étais heureuse de voir que ces deux enfants s'étaient immédiatement bien entendues.
Lorsque nous sommes arrivés dans la cuisine, j'ai dit à Adrienne de s'asseoir près de son frère, que c'était moi qui cuisinais ce matin !
Le frère et la soeur rayonnaient de bonheur, ainsi que la petite Mathilde. Joseph a expliqué leur long périple depuis l'Alabama, à pied souvent, parfois en charrette quand ils trouvaient quelqu'un pour les emmener ; les petits travaux qu'il faisait par-ci et par-là, pour subvenir à leurs besoins immédiats ; la distance à parcourir qui diminuait jour après jour, avec l'espoir d'être enfin réuni avec sa soeur au bout de la route, ici, au Canada.
J'ai dit à Adrienne de passer la journée avec son frère ; c'est ce qu'ils ont fait, se racontant ce qu'ils vont vécu chacun de leur côté depuis qu'elle s'était enfuie de chez son "maître" sans que Joseph puisse s'enfuir avec elle (revoir l'histoire d'Adrienne ici : une merveilleuse nouvelle pour Adrienne ).
Jane parlait de la prochaine rentrée des classes et disait à Mathilde qu'elle arrivait juste à temps pour commencer l'école. C'est alors que je me suis demandé ce qu'allait penser Madame McGill de la présence d'une élève noire dans la même classe que ses filles. Quelques discussions énergiques seront sans aucun doute à prévoir dans le futur, mais il est clair que je ne cèderai pas !
Dans l'après-midi mon frère Narcisse et ma soeur Liliane sont revenus des quelques jours qu'ils ont passés dans la ferme de leurs amis Andersen. J'ai trouvé Liliane rêveuse et nostalgique comme elle l'est à chaque fois qu'elle doit quitter Erik Andersen depuis qu'il s'est déclaré en lui offrant une carte de Saint Valentin au mois de février. Il semble que cette journée a été sous le signe du coeur du matin jusqu'au soir.
Et même maintenant que je t'écris, elle l'est encore. Tu me manques tant... je t'attends et je t'attendrai toujours.
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Si la scène de l'étendage du linge vous plait, vous pouvez la voir en grand format ou la télécharger en cliquant ici : IMG_2564_1920
J'ai appelé Mathilde la fille adoptive de Joseph, en l'honneur de Mathilda McCrear qui fut la dernière esclave capturée en Afrique et amenée aux États-Unis pour y être vendue. Matilda avait été capturée par des négriers en Afrique de l'Ouest à l'âge de deux ans avec sa mère et sa sœur, arrivées en Alabama en 1860 à bord de l'un des derniers navires négriers transatlantiques. La mère a vu ses deux filles vendues et ne les aura jamais revues. Matilda avait été achetée par un riche propriétaire de plantation appelé Memorable Creagh.. Elle est décédée en 1940 à Selma en Alabama à l'âge de 83 ans. Elle fut la dernière preuve vivante en lien avec les esclaves américains enlevés en Afrique (https://www.bbc.com/afrique/region-52047088 )
Bon samedi :-)
♥♥♥