Le journal de Rose - Une merveilleuse nouvelle pour Adrienne
Extrait du journal de Rose - Mardi 27 avril 1870
[... "Les bonnes nouvelles que reçoivent nos amis nous font autant plaisir que si c'était nous qui les recevions". C'est toi, mon tendre amour, qui m'avait dit cela un jour quand ton ami John avait reçu une bonne nouvelle qu'il attendait avec impatience.
Et bien, c'est le cas ici aussi ce soir. À peine étais-je rentrée ce soir, Adrienne m'a à peine laissé le temps de poser mon cartable tant elle est était excitée de m'annoncer une formidable nouvelle.
- Rose, c'est merveilleux, ça y est, enfin, j'ai des nouvelles de mon frère ! Il est vivant !!!!!! De toutes les lettres que j'ai envoyées depuis cinq ans un peu partout en Georgie et en Alabama, tout autour de Augusta où nous étions, voilà qu'il y en a finalement une qui lui a été remise. Il l'a fait lire par une femme de l'église où il va, qui a ensuite écrit sa réponse et me l'a fait parvenir... c'est que mon frère était un esclave des champs, il ne sait pas lire ni écrire comme moi.
- Quelle formidable nouvelle Adrienne ! Alors, que fait-il ? ai-je demandé.
- Et bien d'abord, il s'était marié et sa femme est morte des fièvres des marais ; elle avait une petite fille qu'il a gardé avec lui, elle a 8 ans. Mon pauvre frère ne se plaint pas trop dans la lettre, mais du peu qu'il raconte, il est clair que la vie est encore difficile là-bas pour les anciens esclaves. Quand il a lu que j'essayais de lui écrire pour lui dire de venir s'installer ici au Canada parce qu'il y trouverait du travail, il a tout de suite répondu qu'il allait se mettre en route avec la fillette.
Les yeux de Adrienne brillaient de joie.
- Je suis tellement heureuse pour toi ! C'est sur qu'il va voir du travail, parce que Monsieur Andersen cherche des ouvriers pour mettre en route son vignoble, si il connait le travail des champs, il est certain qu'il va l'embaucher tout de suite. Et la petite pourra aller à l'école. Tout cela est tellement formidable de savoir que vous allez être réunis après toutes ces années.... lui ai-je dit avec émotion.
Je savais tout ce que Adrienne avait vécu : née esclave, elle avait été placée en 1853 au service de la petite fille de ses maitres quand elle avait 5 ans, les deux fillettes avaient grandi ensemble, partageant tout, jeux et apprentissages, et la fillette avait appris à lire et écrire à Adrienne. Tout avait bien été, jusqu'au jour où la jeune blanche et la jeune noire avaient commencé à s'éloigner pour des évidentes raisons sociales, brisant le coeur d'Adrienne qui avait cru à l'amour de son "amie". Sa mère avaient été vendue quelques années plus tôt, il ne lui restait que son frère, qui l'avait consolée, lui répétant que tout cela allait bien finir par se terminer un jour, qu'il fallait avoir confiance et prier pour ça. Puis un matin de 1863, quand elle avait 15 ans, le maitre lui annonça qu'il la mettait "au service du fils aîné de la maison", revenu blesse de la guerre... Au service.... Hum... Elle avait alors rejoint un groupe d'esclaves qui s'enfuyaient vers le Canada, par le Chemin de fer clandestin (Underground Railroad). Son frère devait partir avec elle, mais il n'avait pas pu les rejoindre à temps pour suivre le passeur. Adrienne ne s'était jamais remise de la culpabilité qu'elle avait ressenti d'être partie sans son frère ; c'est pour cela que, depuis des années, elle écrivait sans cesse partout dans les églises de son ancien pays, espérant que son frère était toujours vivant et qu'un jour, enfin, une de ses lettres lui parviendrait. Et le miracle venait de se produire.
Voilà pourquoi je suis si heureuse pour mon amie. Et j'aurais tant aimé que tu sois là pour partager cette joie avec nous... Mais je ne perds pas espoir de te retrouver un jour mon amour, parce que je viens encore d'avoir la preuve que les miracles existent.
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Le Chemin de fer clandestin (Underground Railroad, en anglais) était un réseau clandestin d'itinéraires et de refuges sûrs utilisé par les esclaves fuyant vers le nord avec l'aide des abolitionnistes qui adhéraient à leur cause. Le Canada, où l'esclavage était interdit, était une destination courante, puisque sa longue frontière offrait de nombreux points d'accès. Au cours du 19e siècle, plus de 30 000 personnes sont supposées s'y être réfugiées grâce au réseau.
Bon vendredi :-)
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