Le journal de Rose - La première soirée de Jane
Mardi soir, jour de l'arrivée de la petite cousine Jane dans la maisonnée, lorsque toute la maison a été enfin endormie, une fois revêtue sa chemise de nuit, Rose est allée s'installer dans la cuisine pour ajouter une nouvelle page dans son journal intime, comme elle le fait désormais chaque jour ou presque, se donnant ainsi l'illusion qu'elle parle à son mari disparu.
Voici ce qu'elle y écrivait à la date du mardi 12 janvier.
Mon tendre amour, tu aurais sans doute été aussi angoissé que moi si tu avais du aller chercher la petite cousine Jane à la descente de la diligence comme je l'ai fait aujourd'hui. Je ne savais pas du tout comment me comporter avec elle, dans la mesure où j'ignorais quelle attitude elle aurait : triste, inquiète, chaleureuse, arrogante, en colère ? avec une enfant de cet âge qui a vécu tant de drames en 2 mois, on pouvait s'attendre à tout. Et je suis sure que de son côté, elle se posait les mêmes questions sur moi. Par chance, si j'ose dire, elle était accompagnée par une nonne dont le comportement m'a tout de suite fait régler le problème : la petite fille était au bord des larmes en entendant cette femme parler d'elle comme elle l'a fait, la traitant de coquette et de bavarde, et rappelant en sous-entendu que l'orphelinat serait très content de la récupérer, dans la mesure où son héritage leur reviendrait comme prévu dans le testament de ses parents. Tu me connais, je suis très calme, mais là, la moutarde m'est montée au nez et j'ai clairement remis cette femme sans coeur à sa place, tout en montrant à la petite Jane que j'étais vraiment prête à l'accueillir et à l'aimer.
J'ai failli pleurer lorsqu'elle m'a regardée fixement en me disant que je ressemblais beaucoup à sa maman, ses yeux étaient à la fois si plein d'incrédulité et d'espoir. Cette petite fille va avoir besoin d'être beaucoup aimée pour pouvoir oublier le terrible drame qui a détruit sa paisible vie d'enfant choyée.
Lorsque nous sommes rentrées à la maison, tout le monde était dans le salon pour lui souhaiter la bienvenue : Liliane et Narcisse, Adrienne avec notre fille dans ses bras, et Joséphine, et bien sur, ton chien Pataud et mes deux chats ; tout le monde attendait l'arrivée de cette petite avec impatience ! Il y a eu un petit mouvement de surprise quand je lui a présenté Adrienne comme étant mon amie, mais elle l'a vite surmonté ; je lui en parlerai demain car je sais que les personnes de couleur comme les maoris ne sont pas bien considérés en Nouvelle-Zélande, et je ne voudrais pas qu'Adrienne soit blessée par une attitude quelconque de sa part si elle a été élevée avec des notions de racisme. Après avoir poliment et timidement dit bonjour à chacun, Pataud a voulu la saluer et elle a pris peur, mais elle l'a vite charmé, comme nous tous d'ailleurs, car c'est une charmante enfant. Elle a reçu une bonne éducation, elle m'a expliqué qu'elle avait une préceptrice à domicile, j'espère qu'elle s'habituera sans difficultés à notre école de campagne et à notre mode de vie.
Ensuite nous sommes allés prendre un thé dans l'ambiance chaleureuse de la cuisine, et c'est là que nous avons découvert enfin le ravissant sourire de notre petite cousine lorsque Adrienne lui a confié notre fille.
Dès que Jane a eu le bébé dans les bras, son visage s'est épanoui comme une fleur au mois de juin.
Elle a confié qu'elle avait toujours rêvé d'avoir un petit frère ou une petite soeur à dorloter. .Cela m'a fait penser qu'elle se sentait surement bien seule dans la grande maison de ses parents, surtout si elle n'avait pas le droit de jouer avec les enfants des domestiques comme je soupçonne que cela était le cas.
Ensuite, elle tombait de sommeil, et Liliane l'a emmenée dans sa chambre pour lui faire découvrir son lit et tout ce que nous avons installé pour elle. La pauvre petite était exténuée, mais très visiblement rassurée; je pense qu'elle avait très peur de tomber dans une mauvaise famille, ou bien encore qu'on ne l'aime pas et qu'on la renvoie à l'orphelinat. Je lui ai conseillé de se préparer pour la nuit et d'aller se reposer, et je lui ai dit que je lui apporterai un plateau dans son lit pour qu'elle se restaure un peu à l'heure du souper. Quand je suis allée un peu plus tard pour voir si tout allait bien, elle dormait à poings fermés, mais des traces de larmes étaient encore visibles sur ses joues et dans ses cheveux mouillés.
J'ai hâte d'être à demain pour lui dire combien nous l'aimons déjà.
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Rose a terminé là. Elle a rangé son journal, le porte-plume, l'encre, puis elle a éteint la lampe, et a rejoint son lit pour quelques heures de repos bien mérité.
Bon jeudi :-)
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